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Vivre avec le feu : repenser le risque à l’échelle du paysage

Vivre avec le feu : repenser le risque à l’échelle du paysage

L’association U SBIRRU, lauréate de l’appel à projet du Ministère de la Transition écologique, pilote depuis 2019 par délégation du Syndicat mixte, un plan de paysage dans la micro-région du Giussani, en Balagne, en Haute-Corse (2 B). En intégrant le feu dans la gestion territoriale, ce projet redéfinit localement les politiques publiques de prévention des feux de forêt pour renforcer la résilience des paysages méditerranéens, tout en développant des pratiques durables et respectueuses des écosystèmes. 

Jordan SZCRUPAK, Paysagiste-concepteur
APJS (sous-traitant) & Membre du Comité Scientifique U Sbirru

Dans le cadre du plan de paysage « Paysage et culture du feu intégrés au développement du territoire », l’association U SBIRRU, l’agence TEM PAYSAGES désignée mandataire, coordonne cette démarche novatrice de la gestion des incendies dans la haute vallée du Giussani (alt : 900 m – 95 km2) composée de quatre communes Pioggiola, Mausoleo, Olmi Capella et Vallica et de 328 habitants. Cette étude, soutenue par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de Corse, s'inscrit dans une démarche systémique et s'appuie sur l'analyse de données cartographiques et géo-historiques (MNT, historique des incendies, couverture forestière) réalisée par l'Atelier de Paysage Jordan Szcrupak (APJS), architecte paysagiste consultant spécialisé dans les incendies de forêt, ainsi que sur une compréhension approfondie des dynamiques écologiques et rurales. 

En Méditerranée, les incendies de forêt sont des phénomènes naturels récurrents, influençant profondément l’écologie, mais aussi les perceptions des paysages. Plutôt que de les considérer uniquement comme une menace, le plan de paysage propose de transformer le risque incendie en une ressource créative. Cette démarche ouvre la voie à une gestion intégrée, touchant divers domaines tels que l'urbanisme, l'agriculture, le tourisme et la santé. La clé réside dans la réduction des vulnérabilités, en particulier à l’interface entre les zones sauvages et les zones urbaines, en intégrant des approches écologiques des ressources en eau. Ce projet à l’échelle du paysage favorise également une meilleure planification dans le contexte plus large du risque d’incendie. En créant une interface collaborative entre les parties prenantes, notamment les communautés locales, les services de l'État et les organisations environnementales, le projet renforce non seulement la résilience des paysages mais favorise également le développement territorial durable. 

Composer de manière proactive avec le feu dans l’aménagement du territoire 

Face aux défis imposés par le changement climatique, la stratégie développée dans le Giussani vise à réduire les vulnérabilités, notamment à l’interface habitat-forêt (IHF), par une planification paysagère opérationnelle et une gestion agro-sylvo-pastorale de l’espace rural. Les jardins nourriciers en terrasse, par exemple, jouent à l’axe des vallon un rôle clé en formant des bandes vertes capables de limiter la propagation des feux par des systèmes agroforestiers à restaurer (châtaigneraies, vergers, arbres fourragers). 

Une des propositions centrales du projet est l'extension des Obligations légales de débroussaillement (OLD) à une zone d'intérêt général de 150 mètres, une lisière agri-urbaine transformée en épaisseur de projet, permettant une gestion concertée du combustible entre acteurs locaux et services de l'État. Ce plan repose sur deux volets : la combinaison de pratiques agro-sylvo-pastorales et de brûlages dirigés d’une part et l’hydrologie régénérative pour tamponner les excès climatiques. L’objectif est de créer une mosaïque paysagère hétérogène d’espaces naturels, agricoles et forestiers, capable à l’échelle du territoire de réduire les surfaces incendiées et de modifier le comportement de propagation d’un incendie. Des exemples internationaux, comme les « Ramats de foc » en Catalogne, démontrent que l'intégration du feu dans la gestion des paysages peut être économiquement viable avec des filières de produits forestiers non-ligneux et des services environnementaux, tout en réduisant le niveau de vulnérabilité des enjeux (habitants, animaux, patrimoine). 

En fin de compte, ce plan de paysage propose une nouvelle manière d’habiter avec le feu, en le considérant comme un élément intrinsèque et structurant du territoire, et cherche à développer une économie de soutien à la forêt corse, à travers des actions de l’Office du Développement Agricole et Rural de Corse (ODARC) et des produits d’appellations d’origine contrôlées (AOC). Grâce à cette méthodologie qui s’inscrit en dehors des saisons de feu, il s’agit de changer de paradigme de la lutte contre les incendies pour développer une nouvelle conscience collective du phénomène dont les scientifiques confirment que la fréquence et l’intensité seront aggravées par le changement climatique, spécialement en zone méditerranéennes. Dans cette perspective, le feu devient un catalyseur de nouvelles pratiques agro-paysagères qui valorisent les ressources locales et en préservant les écosystèmes. Elles s’opérationnalisent localement, grâce à des formes de gouvernance capables d’anticiper et de gérer les crises futures, participant activement à la transformation et à la durabilité des paysages méditerranéens.